Aujourd’hui, je ne me suis pas levée de bonne heure, je ne me suis pas habillée et je suis passée de mon lit au canapé sans culpabiliser.
ça fait 10 jours. Pas 10 jours d’isolement, non. 10 jours à voir passer sur les réseaux sociaux, des fables et des injonctions, des plaintes et des protestations, des souffrances qui s’opposent à d’autres, des tentatives de prise de pouvoir, des leçons de vie selon sa propre vision du monde.
10 jours que je m’efforce de lire entre mes lignes et à travers celles des autres.
A mesure que s’installe la réalité de ce que nous traversons s’installe la vérité singulière de ce que nous vivons, chacun à notre manière.
Dans cette bataille très inégale pour laquelle nous avons été réquisitionnés bien malgré nous, certains mourront, d’autres survivront. Certains en sortiront plus forts, d’autres en sortiront égratignés ou amputés. Certains sont déjà morts.
Je le comprends. Tous ces cris, toutes ses voix sont des cris de colère, de frustration, de peurs...Nous avons le droit d’être en colère, d’être frustrés ou d’avoir peur. Nous avons le droit de détester notre solitude pour certains ou notre obligation à être ensemble pour les autres. Nous avons le droit d’être en colère contre le gouvernement, notre famille, nos voisins, les magasins qui ne sont pas réapprovisionnés assez vite.
Mais nous avons aussi le droit d’être tristes, d’être angoissés, de faire des cauchemars, de pleurer. Ces mêmes injonctions au bonheur qui me laissent perplexe depuis toujours font leur réapparition sous d’autres formes depuis 10 jours : lisez, soyez heureux chez vous, regardez des films, allez au musée, retournez à vous, ne déprimez pas, ne lâchez rien.
Cette injonction à FAIRE.
Mais pourquoi faire, pour quoi faire ? Pour préparer ‘l’après’ ? Mais l’après, en ce moment, c’est le quart de seconde qui arrive et dans lequel tout peut basculer. Comment peut-on savoir ce qu’il y aura à réparer quand nous ne savons rien ?
Ce qui nous arrive est individuel et collectif, d’où la magnificence d’une solidarité qui émerge. Mais à titre individuel, tout ce que nous écrivons, tout ce que nous partageons est un appel à l’aide vers l’autre, une main tendue que personne ne peut attraper parce que nous souffrons tous et que personne ne peut nous délivrer en ce moment de nos vies, de nos chagrins, de nous-mêmes. Comment peut-on savoir aujourd’hui comment nous allons réagir lorsque nous serons ‘libres’ ? Et de quelle manière aurons-nous été libérés ? Quelles seront les conséquences de nos incarcérations ? Aucun moyen de le savoir. Aucun moyen de connaître les conséquences psychologiques de ce traumatisme. Elles sont déjà là, comme les dragons qui dorment pendant des siècles, et elles sont en train de se réveiller à mesure que dure le confinement et que s’intensifie la peur de la suite.
Je trouve magnifique de vouloir aider mais ne soyons pas dupes de nous-mêmes. Vouloir aider, c’est vouloir être utile. Vouloir se sentir utile, c’est se rassurer soi-même. C’est vrai, nous sommes tous ensemble dans cette épreuve, mais nous sommes tous seuls dans ce même bateau.
L’individu qui est seul et qui souffre, se sent plus malheureux que celui qui est en famille mais qui travaille, qui se sent plus malheureux que celui qui ne fait rien chez lui, qui se sent plus malheureux, etc. etc. Il n’y a pas de hiérarchie de la souffrance comme il n’y a pas de hiérarchie du deuil ; est-ce que l’on va véritablement jouer à celui qui aura perdu le plus de proches pendant cette épreuve ? Celui qui aura le plus souffert, celui qui aura été le plus malade ?
t quant à ceux qui pensent avoir raison sur leurs collègues, sur les manières d’agir de leurs voisins ou de leurs contacts, je leur demande de bien se souvenir que ce sont des circonstances exceptionnelles et inédites que nous vivons et que chacun fait ce qu’il croit être juste. En disant cela, je ne valide pas certains comportements. Mais qui je suis pour juger l’autre quand moi-même je suis jugée : parce que je suis seule et que donc, je peux me reposer ou réfléchir quand d’autres n’en ont pas ce luxe, parce que je pourrais offrir des services payants (le tabou de l’argent sale) quand moi je n’ai plus aucune source de revenus, quand je n’ai pas envie d’aller sauver la terre entière parce que j’ai déjà du mal à tenir la tête hors de l’eau.
10 jours à entendre ces injonctions paradoxales et à devoir me justifier de ce que j’exprime ou ressens. Non. Je refuse. Et si je dois accepter quelque chose, c’est justement ma propre vérité parce que c’est elle qui m’aide et qui m’aidera plus tard à maintenir le cap.
Alors toutes ces propositions sont magnifiques, toute cette solidarité est formidable, tout ce soutien, vous tous êtres chers, nous tous qui apprenons la résilience.
Mais moi, ce que j’aimerais égoïstement voir, c’est un peu de tolérance. D’écoute de la souffrance ou de la frustration de l’autre. Moins de réactions, plus d’empathie et de respirations.
Nous faisons tous comme nous le pouvons et nous sommes en vie.
J’ai juste envie, en ce qui me concerne, d’être qui j’ai envie d’être. Avec l’autre ou sans l’autre. Cheveux sales ou pas. Nourriture saine ou pas dans mon assiette. Suivant le mouvement ou les injonctions ou pas.
26 mars 2020
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